Résidence
Le Beau Danger
Résidence de création autour “Nu gît le coeur dans l’obscurité”
Du lundi 18 janvier au samedi 23 janvier 2021
Création portée par Maxime Contrepois (écriture et jeu)
NOTE D’INTENTION : Je est un autre, Je suis le monde
Comme un prisme révélateur, une obsession qui se décline au fil des textes que je choisis de mettre en scène, la métamorphose sera à nouveau le pivot de mon travail. Jusque là je me suis intéressé à ce que peuvent révéler de nos humanités les comportements que nous avons, les métamorphoses que nous opérons, dans des situations extrêmes et violentes. En choisissant d’en venir à l’écriture, démarche inédite dans mon parcours, c’est la possibilité pour moi de changer de focale, de produire une trame narrative à l’apparente banalité où l’origine de la quête intime est une quête intérieure choisie et non plus subie. Avec Nu gît le coeur dans l’obscurité, je poursuis une radiographie de nos tentatives de réconcilier nos vies avec nos désirs intimes. Ici, cela en passera pour Peter, le personnage principal de l’histoire, par une quête du moi et du lieu acceptables pour vivre ; faire place à des rencontres qui vont redéfinir son identité et alors trouver sa place dans le monde.
Peter est sur la route depuis longtemps quand on le retrouve en ouverture du spectacle. Il est en errance, et cette errance physique va devenir une errance intérieure, mystique, métaphysique. Celle d’un être qui va croiser d’autres êtres dont l’existence est concrète mais qui pourraient tout aussi bien être des représentations des autres personnages, des autres âmes, des autres facettes de Peter. Les autres c’est lui, lui c’est le monde. Je voudrais qu’au plus loin de l’avancée de la représentation, pourquoi pas même en sortant de la salle, on s’interroge sur le degré de réalité des personnages. Ici, le rêve et la réalité auront la même densité. Je pense à ce qu’Antonin Artaud disait devoir révéler par sa mise en scène de La Sonate des spectres de Strinberg :
« La pièce devra apporter le sentiment d’un quelque chose qui, sans être sur le plan surnaturel, non humain, participe d’une certaine réalité intérieure. Le réel et l’irréel s’y mêlent comme dans le cerveau d’un homme en train de s’endormir, ou qui se réveille tout à coup en s’étant trompé de côté. Tout ce qu’elle révèle, nous l’avons vécu, rêvé, mais oublié. »
Nu gît le coeur dans l’obscurité est un parcours initiatique, celui d’un homme désintégré, quasi mutique, dont on comprend qu’il a au fil de sa vie renié les idéaux autour desquels il s’était construit. Quand il se met en mouvement pour retrouver le village dans lequel il a passé quelques années quand il avait trente ans, Peter a perdu sa femme, son travail, ses repères. Il est déboussolé et son état entre veille et sommeil – il s’endort à plusieurs reprises – donne à son récit un caractère onirique aux touches kafkaïennes et à l’accent surréaliste. Il va être confronté à des inconnus (un jeune garçon, une fille qui le prend pour son père et une jeune fille mystérieuse) qui savent des choses de sa vie intime, de ses fragilités indicibles et qui vont le confronter, par leurs histoires personnelles, à son passé et à ce qu’il est devenu. Il va y avoir reconnaissance d’intimité à intimité et alors peut-être va se dessiner pour Peter la possibilité de lâcher-prise, de s’exiler de la mélancolie, de se dépouiller de la culpabilité et de la douleur pour réconcilier ses différentes entités, ses moi diffractés, et être à nouveau présent à lui-même.
La quête de Peter va devenir malgré lui une quête d’identité, une conquête d’existence qui aboutira à une mue. Et ce regard tourné vers soi-même, cette mue dont on parle, est la condition d’une écoute et d’une attention différente à l’Autre, quel qu’il soit, d’où il vienne. Prendre en main son destin, arrêter d’être témoin, chercher à être acteur, laisser le moins de place possible à la peur.
L’écriture que je mets en place entrelace la voix d’un narrateur (Peter) qui partage avec nous ses pensées intérieures et nous guide dans la fable, avec des dialogues ou des extraits de La Barque le soir de Tarjei Vesaas. À la façon d’un affluent qui viendrait irriguer un cours d’eau plus important, les passages empruntés au roman crépusculaire de Vesaas parviennent, de par la langue et le rythme si particulier de l’auteur norvégien, à nous mettre en mouvement et nous incitent à engager un voyage intérieur. Ces extraits sont autant de réminiscences poétiques qui parlent de l’effroi face à l’invisible et de la condition spirituelle de l’homme.
L’écriture – dramatique et scénique – procèdera sur le mode du montage photographique. C’est la façon de faire se succéder les situations, les rencontres, les images qui produit la narration. Mais cette narration sera volontairement trouée, elliptique. La pièce pourrait ainsi être décryptée comme un tableau abstrait dont seul le titre (« Nu gît le coeur dans l’obscurité » pourrait parfaitement figurer au bas d’une toile) suggère quelle avait été l’intention du peintre, ce qui peut diriger et canaliser l’imagination du spectateur. Tout ne s’explique pas, tout ne se résout pas, le mystère est omniprésent et c’est à chacun de combler les vides avec son imaginaire, avec son intimité.
À tout cela viendra s’ajouter la matière théâtre : le rapport charnel à une lumière, à un son, à un corps, le trouble que produit une sensation. Dans mon travail, l’espace, l’image et l’atmosphère de plateau cohabitent nécessairement parce que je ne crois pas que le théâtre soit fait uniquement pour raconter des histoires, mettre en scène des mots et des dialogues, il est fait aussi pour créer une ambiance qui doit permettre d’aller creuser une réalité plus profonde, qui existe en parallèle des autres. Dans la poursuite de mes recherches précédentes, les éléments scéniques devront permettre la constitution d’un langage capable de conduire le spectacle dans une zone indéterminée où le réalisme et le banal fraient avec le fantastique et l’extraordinaire.
Alors que l’on cherche si souvent à nous convaincre que la réalité est évidente, irréfutable, imparable, l’envie fondatrice est de défaire une image consensuelle du monde en lui conférant une densité et une opacité des plus suggestives. C’est peut-être là que peut résider aujourd’hui la charge politique d’une écriture, dans un langage théâtral éminemment ouvert où l’on ne voit pas la réalité mais de la réalité, où l’on voit des choses, des situations, des hommes. Des hommes qui se débattent comme ils peuvent pour continuer à vivre.
Maxime Contrepois
octobre 2020